L’avocat de Dmitri Rybolovlev brise le silence : « au tribunal, on ne jouera pas au bonneteau »

*Cet article a été publié initialement sur Nice Matin : https://www.nicematin.com/justice/lavocat-de-dmitri-rybolovlev-brise-le-silence-au-tribunal-on-ne-jouera-pas-au-bonneteau-285042

Ténor du barreau de Paris et discret avocat de Rybolovlev, Me Hervé Temime brise le silence pour dénoncer des violations répétées du secret de l’instruction et « l’habileté » d’Yves Bouvier.

En 2015, Dmitri Rybolovlev alertait les médias pour dénoncer l’escroquerie présumée du marchand d’art suisse Yves Bouvier. Victime autoproclamée, le président de l’AS Monaco s’est ensuite retranché dans le silence au fil d’articles divulguant le contenu du téléphone de son avocate, Tetiana Bersheda conduiront à l’inculpation pour trafic d’influence de Dmitri Rybolovlev. Un volet ouvert avec pertes et fracas pour la Principauté, Philippe Narmino, ex-directeur des Services Judiciaires, devant notamment démissionner.

« Ce qui est scandaleux, c’est que des SMS à caractère privé ou confidentiel ont été publiés avant même qu’il ait été statué sur leur régularité, plaçant les juridictions dans une position difficile. C’est malheureusement un fonctionnement qui devient coutumier », regrette Me Hervé Temime qui, avec Me Thomas Giaccardi, recommande depuis à Rybolovlev et Bersheda de garder le silence tant que la Cour de révision n’aura pas tranché sur la recevabilité de l’expertise du téléphone de sa consœur.

Après un feuilleton dans Mediapart – complété de Football Leaks peu flatteurs pour l’AS Monaco, L’Équipe accordait une double page à Yves Bouvier, le JDD y allait de son dossier et, mercredi dernier, Le Point portait l’estocade en révélant les coulisses du rapprochement entre l’oligarque russe et l’ex-directeur du Renseignement intérieur, Bernard Squarcini.

Juste avant de publier une tribune libre (Figaro) sur la violation du secret de l’instruction dans l’affaire Cristiano Ronaldo – non sans écho à l’affaire Bouvier-Rybolovlev –, Hervé Temime nous a contactés pour « rétablir des vérités d’évidence oubliées ».

Me Giaccardi a regretté que la garde à vue de M. Rybolovlev ait duré 24 heures, alors que ça aurait pu durer « deux minutes ». Est-ce si scandaleux que les enquêteurs tentent d’obtenir des réponses même si on leur oppose le silence ?

Le magistrat instructeur a souhaité que les questions [600, N.D.L.R.] lui soient posées. Ça n’a rien de scandaleux, mais il convient de rappeler que M. Rybolovlev et Mme Bersheda se sont rendus à toutes les convocations. J’ai pu lire que M. Rybolovlev serait rentré chez lui pendant la garde à vue, non seulement ce n’est pas le cas, mais il n’a rien demandé de cette nature. Pas plus qu’il n’a fui en Russie ou licencié ses employés à Monaco. Quant à Mme Bersheda, c’était la troisième garde à vue qu’elle subissait dans ce dossier. On ne peut pas dire qu’ils aient bénéficié d’un traitement de faveur jusqu’à présent. Les informations publiées ont été fausses et malveillantes. Pourquoi ?

D’où votre souhait de réagir aujourd’hui aux derniers articles parus dans la presse nationale?

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Oui, car je trouve tout à fait déplorable que le dossier d’instruction se trouve dans les médias, probablement livré de manière intéressée. Je ne cherche pas à identifier les sources, même si on a une petite idée. La manière dont les choses ont été présentées témoigne d’énormément de malveillance à l’égard de mon client. La présomption d’innocence est totalement bafouée, or il y a une contestation extrêmement forte des faits reprochés.

Vous parlez de sources « non identifiées », insinuez-vous que la partie adverse userait d’une forme de « trafic d’influence » dans les médias ?

Je ne parlerai pas de trafic d’influence. Déjà, il y a des règles. M. Bouvier lui-même n’est pas tenu au secret de l’instruction. Il joue parfaitement sa partition, mais ce n’est pas difficile puisqu’il a le vent dans le dos. Il a quasiment réussi à faire oublier l’affaire majeure (escroquerie), dans laquelle il est inculpé, en donnant une version caricaturale du volet trafic d’influence. Profitant aussi du fait que nous ne nous exprimons pas pour l’instant.

La partie adverse s’avère en effet beaucoup plus loquace.

La présentation de l’affaire, qui est en fait l’affaire Bouvier, est une présentation fausse, factice, qui est le fruit d’une très grande habileté de la part de M. Bouvier, mais aussi d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Il présente l’appareil judiciaire et policier monégasque d’une manière injurieuse et absolument pas conforme à la réalité. Police et justice ont agi sans violer les règles de l’impartialité dans cette affaire.

Que voulez-vous dire ?

Je constate qu’à ce jour, alors que nous sommes en présence d’une escroquerie portant sur des centaines de millions d’euros, M. Bouvier n’a versé dans le monde entier qu’une caution de cinq millions d’euros, sans aucune autre garantie. Je constate, par ailleurs, qu’à Monaco, les preuves essentielles résultent de documents en notre possession ou ayant été obtenus auprès de la justice américaine. Le moins qu’on puisse dire est qu’en tant qu’inculpé d’escroquerie, M.Bouvier n’est pas mal traité par la justice. Les investigations le concernant ont aussi été très limitées par rapport à celles qui ont visé mes clients.

« Très limitées » ?

Depuis sa première audition, M. Bouvier met en cause la police et la justice monégasques. Je tiens à rappeler que le magistrat instructeur qui l’a inculpé est totalement étranger du dossier de trafic d’influence, tout comme celui qui lui a succédé et comme le procureur suisse qui le poursuit pour l’ensemble des transactions effectuées. Nous n’avons par exemple toujours pas l’exploitation des téléphones de M. Bouvier et il a incontestablement utilisé l’exploitation du téléphone de Me Bersheda pour faire oublier l’escroquerie initiale. Chapeau l’artiste ! Au tribunal, on ne jouera pas au bonneteau, mais on appliquera la loi.

Avec votre expérience, de telles « fuites » dans la presse vous surprennent vraiment ?

La violation du secret de l’instruction ne me surprend pas, même si je la déplore. Mais j’ai le sentiment étrange qu’on oublie la gravité de l’escroquerie initiale en raison de la richesse de mon client. Il y a une forme d’ostracisme à l’égard de l’homme russe et riche. Je ne supporte pas ces raccourcis.

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Rybolovlev n’aurait-il pas eu intérêt à s’exprimer pour donner plus d’humanité à sa défense ?

Il est particulièrement discret et n’a pas de propension pour l’expression publique. Il y aurait peut-être gagné, mais je pense aussi que, quand on est en proie à des affaires judiciaires de cette nature, il faut laisser le cours de la justice s’exercer. On lui reproche assez, à tort, d’avoir voulu intervenir. Sa position est respectable même si elle peut lui nuire face à M. Bouvier, qui fait le tour des journalistes et donne une patte humaine.

À Paris, l’affaire est résumée au « Monaco Gate »…

C’est une facilité de langage. Ce n’est pas du tout un Monaco Gate. Je ne peux pas contester les conséquences de cette affaire sur chacun mais, en réalité, je suis absolument convaincu que cette affaire va se dégonfler comme une baudruche. Ça n’a rien à voir avec une opération mains propres à Monaco. Avec le temps, on comprendra à quel point la justice et la police monégasques ont été salies de manière excessive.

Des personnes extérieures à l’affaire auraient-elles pu profiter de la situation pour semer la zizanie en Principauté ?

Je n’en sais rien. Je n’ai pas d’éléments pour le dire, ni pour l’exclure. Je crois surtout que M. Bouvier, et c’est tout son cynisme, a parfaitement utilisé ces faits pour leur donner une consonance qu’ils n’ont pas. Il y a une dimension politique certaine, puisque le ministre de la Justice a démissionné et que le Prince s’est exprimé, mais je ne la maîtrise pas. Quels que soient les problèmes déontologiques que certains comportements pourraient constituer, je ne crois pas qu’il y ait eu un manque d’intégrité dans la conduite de l’instruction sur l’escroquerie.

La défense de M. Bouvier a annoncé avoir déposé une requête en nullité de la procédure d’escroquerie. Vous y attendiez-vous ?

Je l’ai su par les médias, mais on n’a pas reçu la requête. L’un de ses avocats a annoncé une date d’audience qui manifestement n’existe pas. Je m’attendais à cette requête et ne la crains absolument pas. Je peux vous dire que si M. Bouvier avait été poursuivi dans un autre tribunal, il aurait pu subir des mesures coercitives bien plus importantes. Il y aurait eu un risque de saisie de ses avoirs dans le monde entier et un risque de contrôle judiciaire extrêmement sérieux, voire plus. Par exemple, je ne crois pas qu’il aurait pu faire effacer à distance son téléphone BlackBerry, sans que personne ne s’y intéresse.

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